dimanche 20 mars 2011
Shirin Ebadi au café-philo du collège Descartes
Shirin Ebadi, pris Nobel de la Paix, a fait l’honneur au café-philo du collège d’une visite de deux heures. L’échange a porté sur ses combats et l’avocate n’a pas manqué de livrer un message de paix et de responsabilité aux jeunes venus échanger avec elle.
L’entrée en matière du prix Nobel de la Paix 2003 est directe. Elle commence par la définition du mot dictateur. « Savez-vous ce qu’est un dictateur ? C’est celui qui construit une différence qu’elle soit de race, de couleur, de religion, de sexe. Si je ne fais pas attention, moi aussi, je peux être un dictateur si je ne réfléchis pas à mon comportement avec les autres.
Je viens d’Iran, un pays où les jeunes sont en quête de démocratie : quand ils sont actifs, ils sont souvent arrêtés par la police. Chez vous, en France, vous avez la chance d’avoir une démocratie. Il faut utiliser cette chance. Il faut faire ce que l’on doit faire : venir à l’école, se former à un futur métier. Tout le monde n’a pas cette chance. Ici, vous tournez le robinet et vous avez l’eau à volonté ; énormément de personnes n’ont pas accès à l’eau potable … »
Qu’est-ce qui vous motive à la défense du droit des enfants ? « J’ai à cœur ce combat. J’ai créé une ONG spécialisée dans cette lutte. On aide les enfants des rues, on essaie de modifier les lois, de maintenir une ligne de téléphone ouverte de 8 h à 18 h. Une des lois qu’on veut changer, c’est celle de l’âge légal du mariage : 13 ans pour les filles et 15 pour les garçons. A cet âge-là, on n’est pas apte à être parents ni à prendre des décisions qui nous enferment dans des responsabilités qui ne sont pas faites pour nous. »
Que pensez-vous de ceux qui, en France, souhaitent revenir sur la mixité dans les écoles ? « Je suis contre, bien sûr. Vous êtes dans votre école comme des frères et des sœurs. Y-t-il une raison pour séparer les frères et les sœurs dans leur famille ? C’est une forme de ségrégation : il ne faut pas de différence d’enseignement en fonction du sexe. Y-a-t-il des problèmes liés à la mixité ? Non, bien sûr, alors pourquoi changer ?
Vous étudiez dans un collège qui porte le nom d’un grand philosophe. N’oubliez pas son enseignement : c’est lui qui a dit « je pense donc je suis » mais aussi « Je doute donc je suis ». N’acceptez pas tout ce qu’on vous dit sans raison valable, dès qu’on vous dit quelque chose, réfléchissez. Soyez convaincus dans vos idées et vos actions, n’acceptez aucune parole sans réfléchir.
Vous avez des responsabilités. Savez-vous que plus de 5 millions d’enfants meurent chaque année faute d’eau potable ? Votre responsabilité est d’économiser l’eau et ce faisant, de respecter la nature et ses ressources limitées. Quand vous serez adultes, vous devrez plus penser à l’humanité, vous opposer à la guerre. Ne votez pas pour un parti qui prône la guerre. En Irak, en Afghanistan, des soldats étrangers combattent, vous ne devez pas voter pour le parti qui les envoie là-bas. Vous pouvez, grâce à votre travail personnel, par la musique, les livres, les expos, aider à combattre pour les droits de l’homme. Les hommes doivent être libres, doivent manger à leur faim : ce sont les objectifs pour lesquels vous devez être actifs. N’oubliez jamais les millions de personnes privées de ces droits»
Vous avez connu la prison. Que gardez-vous de cette expérience ?
« Je suis avocate au tribunal. Un jour, la police a attaqué le dortoir d’étudiants. Il y a eu un mort et des blessés. J’étais l’avocate de la famille du mort. J’ai défendu cette famille contre la police. Au lieu de condamner le chef de la police, le tribunal m’a condamnée : on m’a accusé de mentir malgré les témoignages. La prison n’est pas un endroit confortable.
Pourtant, je garde ma conviction et ma foi pour la justice. Le tribunal aujourd’hui en Iran n’est pas un tribunal autonome, il n’a pas pu faire ce qu’il a voulu. En 2009, des millions d’iraniens ont manifesté dans les rues ; il y a eu beaucoup de morts, les miliciens ont beaucoup tué. Le responsable de cette milice était justement l’ancien chef de la police pour lequel on m’a fait faire de la prison. L’ONU a désigné cette personne comme responsable de tous ces morts. Ses biens sont confisqués à l’étranger. Finalement, il y a une justice. »
Une révolution comme la révolution du Jasmin est-elle envisageable en Iran ? La place des femmes dans un mouvement comme celui-là ?« Les femmes subissent beaucoup de répression dans les pays du Moyen-Orient. Un homme peut avoir 4 femmes (et pourtant ça va même à l’encontre de ce qu’un homme peut désirer puisque ça génère bien des conflits). Il y a beaucoup de privations pour les femmes et elles en ont marre. A beaucoup d’endroits, elles ont manifesté et l’ensemble de la population était d’accord. On observe ainsi un vent de soulèvement dans tous ces pays qui montre qu’on en a marre des dictateurs.
En Egypte et en Tunisie, le peuple est vainqueur ; dans les autres pays, la lutte continue. Le vrai problème est maintenant d’établir une démocratie après la chute d’un dictateur : c’est-à-dire un régime où l’homme est l’égal de la femme. Les femmes luttent pour cela et j’espère qu’elles sortiront vainqueurs.
En 1979, c’est le dictateur, le Shah, qui a été renversé par le peuple iranien. Mais après sa chute, c’est un autre dictateur qui a pris sa place : sont arrivées les lois établissant la discrimination envers les femmes. C’est pourquoi le peuple iranien se bat. Il pourrait être victorieux : il est comme la braise qui couve sous la cendre, elle peut être ranimée très bientôt.
J’espère qu’en Egypte et Tunisie l’histoire sera différente. J’ai bon espoir pour la Tunisie. »
Avez-vous le soutien de vos proches dans votre lutte ? « Heureusement, ma famille m’a apporté beaucoup de soutien. Mon mari me soutient à fond. Je ne suis pas retournée en Iran depuis 2009. A l’époque, les élections présidentielles ont donné lieu à de tricheries qui ont provoqué des manifestations pacifiques. La police a tiré. Il y a eu de nombreux morts et des arrestations nombreuses. J’ai plusieurs collègues qui ont été emprisonnés. Je n’ai pas souhaité retourner dans mon pays car je n’aurais pas pu continuer mon activité. Le gouvernement iranien n’apprécie pas mon travail : ils ont arrêté mon mari pour faire pression sur moi. Mais je continue : mon mari a voulu que je continue. Il est aujourd’hui libéré sous caution mais menacé encore par le jugement. Ils ont aussi arrêté ma sœur, toujours pour faire pression. Malade en prison, ils ont dû la libérer sous caution en attendant le jugement. Elle m’a aussi dit de continuer. J’ai le soutien total de ma famille malgré toutes ces pressions (on m’a aussi confisqué tous mes biens)
Pouvez-vous exposer concrètement les lois discriminant les femmes après la révolution de 1979 ?« En Iran, aujourd’hui, la vie d’une femme vaut la moitié de celle d’un homme. S’il m’arrive un accident dans la rue alors que je suis avec mon frère, si nous avons tous deux la même blessure, la même infirmité, il touchera deux fois plus que moi d’indemnité. Devant un tribunal, il faut le témoignage de deux femmes pour valoir celui d’un homme tout seul. Une femme mariée qui veut voyager doit demander le consentement écrit de son mari. Pourtant, 65 % des étudiants à l’université sont des femmes, en droit, on atteint 70 % ! Beaucoup de profs sont des femmes aussi. C’est pourquoi les femmes sont contre ces mesures et elles luttent pour les faire changer. Elles sont contre le gouvernement qui a validé ces lois et elles participent aux manifestations politiques. »
Vit-on de la même façon en Iran une relation amoureuse ?
« Vivre une relation amoureuse, c’est par exemple se fréquenter dans la rue, sortir ensemble, se tenir la main, s’embrasser dans la rue, vivre ensemble… En Iran, tout cela est un délit. Si un couple s’embrasse dans la rue, il peuvent être condamnés à être fouettés »
Quel regard sur la situation de la femme dans le monde et en France ? « Les femmes n’ont pas les mêmes droits que les hommes. Partout règne l’inégalité. Chaque pays a ses spécificités. Les lois en France disent l’égalité mais la réalité est autre. Y-t-il eu en France une femme présidente ? Combien sont-elles à diriger les entreprises ou à participer au pouvoir politique ? Et sont-elles égales devant le travail ? Est-ce que les femmes sont moins capables ?
Dans les pays d’Europe du Nord, les femmes connaissant une meilleure situation. En Finlande, j’ai reçu une médaille qui illustre bien en tout cas l’inégalité : elle représentait un euro avec un quart de la pièce découpé. Cela représentait le quart de salaire en moins que touche une femme par rapport à un homme. »
Les conditions d’apprentissage dans les écoles en Iran sont-elles bonnes ?« Le niveau d’enseignement en maths et en sciences est élevé. En sociologie, en philosophie, c’est loin d’être le cas : l‘état intervient dans ces enseignements pour appuyer les notions liées à l’Islam. Par exemple, il ne faut pas mentionner les lois de l’évolution dans les écoles iraniennes. »
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